jeudi 26 février 2015









Aujourd'hui sera pour demain 


 










Nature morte à l'automne


Couleur des rhums, reflets des miels,
couleur du succin des cendres originelles
la table au bois de noyer clair s'allume
au jet pèlerin d'un quadrant de lumière.

Blondeur du jour itinérant en la blancheur des fibres
Qu'il était grand l'arbre au froid maudit
dans l'enchantement des rondes enfantines!
Ambre fauve du bois, ambre soyeux des longues chevelures
Lors qu'elles folâtraient en de blanches guipures
L'air ressuscite sourdement contines d'enfant
et chants d'abeilles ouvrageuses.
L'intimité des heures s'enivre de la senteur des cires

laves de géométries besogneuses, nourrices des bois morts.
Alors tout l'été ressurgit derrière les portes closes de l'automne
L'été des poudres d'or au creux des fins calices
tendus en mille couleurs pour des accouplements
d'insectes et de fleurs et c'est soudain
comme un frémissement d'élytres dans la torpeur de la grand'salle.
Au bois froid de la table l'ultime rose expire
Que louange l'éclat d'un vase de cristal.


                                                                        
                                                                            


                                                                                                            
Anne Dupin
 nov 1965




vendredi 26 février 2015
Anne Dupin nous a quitté ce matin.

La voici libérée
  elle peut s'envoler enfin
telle la mouette aux ailes de neige











 










Le regard  






"Songe creux"               plume et encre de chine             shg 1984







Bâti en citadelle face au chaos,
ignorant du tumulte,
délivré du mouvement,
le regard a connu
de trop grands espaces
et démesuré de lumière,
dilaté à la révélation du vide,
il ne saura jamais retrouver
le chemin du retour.

Les replis des dunes sont faits
pour cacher les corps 
de ces pèlerins
qu'on ne reverra jamais.
                                                
                                                  






shg 2001















mardi 24 février 2015






Aube 
   



"Le jardin secret"                                                         shg 1987







Voici l'éveil d'un jour, d'une aube de l'hiver
La glèbe est noire encor dormant silencieuse
Sous le grand toit du ciel où brillent en veilleuse
Des mondes supposés en de grands matins clairs.
Mais voici que blanchit tout un pan de la nuit
Qu'à l'orient du ciel un veilleur invisible
Ranime la lueur d'un devenir possible
Est-ce du genre humain la conscience qui luit?
De la chair d'une main offerte à la clarté
L'aurore a pris soudain la teinte diaphane
Et l'on y voit s'inscrire en mince filigrane
Les innombrables mains jointes en offerté.
La lumière grandit et chasse jusqu'au soir
Les étoiles au ciel, les lampes du village
Et la terre s'éveille ainsi qu'au fond des âges
Et se prend à revivre et se prend à vouloir.

                                                                             



                                                                              
Anne Dupin 
janvier1964





















Défense de savoir    






Geoffrey Johnson 







Ma présence n'est pas ici
Je suis habillé de moi-même
Il n'y a pas de planète qui tienne
La clarté existe sans moi.
Née de ma main sur mes yeux
Et me détournant de ma voie
L'ombre m'empêche de marcher
Sur ma couronne d'univers
Dans le grand miroir habitable
Miroir brisé mouvant inverse
Où l'habitude et la surprise
Créent l'ennui à tour de rôle.






                                               
                                                           Paul   Eluard
                                               "Capital de la douleur"








dimanche 22 février 2015





Chronique martienne


 


"Chronique martienne"           gravure sur zinc               shg





Ô toi
dont les mouvements accomplissent 
la mer
Qu'as-tu à regarder ces villes déjà mortes
et ces aubes d'étain
froides et inquiètes
Hâte-toi
Demeure hors des remparts
Ouvre tes portes aux périls sauvages
Qu'un homme nouveau te verse
la boisson verte et amère des voyageurs
en marche
vers d'autres épousailles
                                                            
                                                            




Jean  Jacques  Beylac
"Le cœur biseauté"  1984





















samedi 21 février 2015







L'envie.







Jessica    Rimondi




Ah! Ne plus être la cible de tes dards
Soleil
mais être soleil moi-même
Enfanter des fleurs, 
des fruits
des chants d'oiseaux.
Épandre des rires sur les cœurs
comme des confettis de fêtes
Iriser le ruisseau
Faire un brasier des neiges
et distiller l'alcool aux pulpes des raisins
Boire la vague dans la paume des criques
Couvrir d'un casque d'or les cheveux de l'enfant
Décupler la pureté aux feux des diamants
Engendrer mille soleils
mille soleils
dans un rut sans pareil.
                                                            





Anne Dupin 
juillet 1966






 21 février 2015, 


Granie s'éteint doucement,
irrémédiablement,
quelques heures peut-être,
quelques jours
à la porte du silence
du Grand Silence.
















 




mercredi 18 février 2015









Insomnie   








Christophe  Hohler














Les longues chevauchées dans le marais des heures
Aux dents une fleur vénéneuse, halte menteuse...
Le chanvre des années au fuseau qui grossit,
Parfois la nuit le rouet tourne à rebours...
Il n'y a plus d'amour au creux de l'oreiller.
On joint avec force les paupières, on voudrait les souder
Pousser les grilles de la nuit, dormir, oublier
La tête se retourne comme un pavé jeté,
La horde des moutons en un long défilé.
Par delà les hauts murs dans les prairies du temps
Une herbe mauve et dure, croissant inexorablement...
Les astres dans le noir se sont vêtus de bure
Et soudain l'on a froid, on se sent pauvre et nu.
 






Anne Dupin
juillet 1965
                                  














 



 


mardi 17 février 2015









La lune compte les chiens, se trompe 
et sans fin recommence.
                                         
                                                                        Frederico Garcia Lorca








"La chambre à bulles"                  dessin en technique mixte                         shg 1986









Il faut bien que j'écrive
avant que bientôt tout s'efface.
Le temps reprend peu à peu
tout ce que la vie a donné,
tout ce qu'on lui a pris.

Bien sûr, on repartira
 les mains vides
la tête dépossédée
de toutes ses constructions.
Que devient le souvenir
quand le corps
peu à peu se dissout?

La vie est donc un rêve
comme un jet de pierre
qui monte, s'étire vers la lumière
et retombe au sol
avec un simple bruit mat.

Il faut bien que j'écrive.





shg 2015















 
  

dimanche 15 février 2015








La flamme étrangère
 












Qui donc pourrait me voir 
moi la flamme étrangère
l'anémone du soir
fleurit sous mes fougères
O fougères mes mains
hors l'armure brisée 
sur le bord des chemins
en ordre sont dressées
Et la nuit s'exagère
au brasier de la rouille
tandis que les fougères
vont aux écrins de houille
L'anémone des cieux 
fleurit sur mes parterres 
fleurit encore aux yeux
à l'ombre des paupières

                                             


                                             
Robert Desnos
"Corps et biens"











 

samedi 14 février 2015





la pensée pétrifiée







Rupert Bathurst 





La pensée pétrifiée par la peur millénaire
composait le lai d'un sombre silence.
A l'orbe de désirs à jamais insatisfaits,
elle gardait sur la langue les stigmates de mots muets,
le fiel de rêves endeuillés,
le goût amer de l'indestructible pertinence
du combat inégal d'une larme
contre un océan de sang.

                                                           





shg 
"Le mal d'Homère"
2003
 (extrait)















jeudi 12 février 2015





Alizés


 

"Alisés"                              dessin technique mixte                           shg 1985




...
Mais les dieux ne parlent pas.
Ils font et défont des mondes
pendant que les hommes parlent.
Les dieux, sans paroles,
jouent des jeux terribles.

L'esprit descend
et délie les langues
mais il ne prononce pas de mots:
Il prononce la lumière.
Le langage, par le dieu enflammé,
est une prophétie
de flamme et une chute
de syllabes brûlées:
cendre sans sens.
La parole de l'homme 
est fille de la mort.
                               






 Octavio Paz
 "L'arbre parle" 

















mercredi 11 février 2015





La centaine d'amour








Portrait d'Adèle Bloch Bauer                                Gustave Klimt




Quand la vague a frappé sur la roche indocile
qu'éclate la clarté en instaurant sa rose
le cercle de la mer s'amasse en une grappe
et pend en une seule goutte de sel bleu.

Oh radieux magnolia délié dans l'écume,
voyageur magnétique et fleuri dans la mort,
dans l'éternel retour de l'être et du non-être:
sel brisé, éblouissant mouvement marin.

Mon amour, tous les deux, nous scellerons le silence,
la mer a beau ruiner ses statues incessantes
et renverser ses tours de folie, de blancheur,

Nous, dans la trame de cette étoffe invisible
que font l'eau emballée et le sable éternel,
nous maintenons la tendresse unique et traquée.






Pablo Neruda