jeudi 30 avril 2015







L'arbre 




  

Toulouse Lautrec






L'arbre que l'hiver creuse et qu'il délabre
De terre à ciel est un chemin battu,
Avril aux tendres mains quand viendras-tu,
Quand, rallumer tout le grand candélabre?

Flamme debout qui ne brûle et ne bouge,
Ruisseau qui coule en remontant:
Le feu sans doute a quitté son masque rouge,
L'eau sa robe couleur de temps,
Et s'embrassant dessous la terre dure
Ils se sont fécondés en se battant
Pour qu'un surgeon de la lumière obscure
Jaillisse ainsi dans le ciel de printemps.


                                                        




  Lanza del Vasto











mardi 28 avril 2015







Nocturne   






Johan Jacob Gensler






        L'encre des nuits derrière les paupières
le poids froid des pierres
  dans l'angle tranchant des maisons
    leur face contre terre
   la cheminée trop longue 
   étirée comme un doigt
   qui compterait les arbres de la plaine
    le regard ose à peine quitter
Le refuge glacé
 la mature du toit
     sa voilure trop blanche
      la lune fascinante.


         Nuits inhospitalières
        tout ce faix de silence
          ces couteaux de lumière
           les clignements d'yeux des étoiles
           l'aile d'aigle du mystère
          la route immobile endormie
        et la forêt tapie.
       Chaque nuit cette mort simulée
          cette macabre comédie
      les cœurs parlent en sourdine
            en la grotte embrasée des poitrines
             sous la plume ou le poil
             ou dessus l'oreiller.
             Tous ces cauchemars
                toutes ces nuits hantées...
               Les bêtes rêvent-elles ainsi
               douloureusement tourmentées?





                                                                              
 Anne Dupin
août 1965



 
  














Incendie   





Pablo Picasso







D'où me vient cet incendie de mots 
travaillant en sourdine le fond de mon esprit
et ces forêts d'images gorgées d'eaux
au bout d'une soif  jamais apaisée.
Fontaines aux bras ouverts
des grandes plaines ondulantes
 me soufflez-vous ces airs?


D'où me vient cette moisson cueillie
 à la crête de vagues mêlée au vol des mouettes
Un vertige me porte 
et je vole bras ouverts comme un grand crucifix
traversant les nuées d'une impeccable trajectoire.
Est-ce toi ma mère de l'autre côté du miroir
qui me souffle ces airs?


Les noirs récifs au loin pleurent de désespoir
le marin céleste qui leurs échappe.
Adieu mer brune et vents couleur de perle.
Je voyage, je voyage, je voyage...

                                                                                





shg   
avril 2015














 

samedi 25 avril 2015







Sur les chemins de toute mer   







Aitor  Renteria







Guide moi, plaisir, sur les chemins de toute mer,
au frémissement de toute brise où s'alerte l'instant,
comme l'oiseau vêtu de son vêtement d'ailes.
Je vais, je vais un chemin d'ailes, 
où la tristesse elle-même n'est plus qu'aile...
Et parfois, la mer couleur du plus grand âge,
est comme celle mêlée d'aube,
qui se regarde dans l'œil des nouveaux nés...
Ou bien, vêtue de pollen gris 
et comme empoussiérée des poudres de septembre,
elle est mer chaste et qui va nue parmi les cendres de l'esprit.
Et qui donc à l'oreille, nous parle encore de lieu vrai.
                                                                                        
                                                                                     






  Saint John Perse


















jeudi 16 avril 2015



Voici ma table







Jarek  Kubicki






Voici ma table et mon papier, je pars d'ici
Et je suis d'un seul bond dans la foule des hommes
Mes mots sont fraternels mais je les veux mêlés
Aux éléments à l'origine au souffle pur
 je veux sentir monter l'épi de l'univers
J'ai le sublime instinct de la pluie et du feu
J'ensemence la terre et rends la lumière
Le lait de ses années fertiles en miracles
Et je dévore et je nourris l'éclat du ciel
Et je ne crains que l'ombre atroce du silence
Je prononce la pierre et l'herbe y fait son nid
Et la vie s'y reflète excessive et mobile
le duvet d'un aiglon mousse sur du granit
Une faible liane mange un mur de pierres
Le chant d'un rossignol amenuise la nuit
Prise d'en haut d'en bas dans ma voix fléchissante
La forêt s'agglutine ou se met en vacances
Ravines et marais dans ma voix renaissante
S'allègent comme un corps qui se dévêt et chante
                                                                               







Paul Eluard
 "ici ailleurs partout"
 (extrait)




















mercredi 15 avril 2015







Ombre 






"Le jardin secret"                                                 shg





La nature ce matin 
Ne semble pas devoir se réveiller
Inerte et grise
Elle pèse sur mon cœur
De tout son poids de morte
Le ciel est triste
Ainsi qu'une page vierge
Nulle arabesque d'aile
Nulle rature de ramille légère
Un jour qui se refuse
La solitude est souveraine
Et je suis son esclave
Halée muette
Sur l'eau sage des heures.

                                                    
                                                    




Anne Dupin
décembre 1964

















lundi 13 avril 2015






Ailleurs, ici, partout    






"La maison hantée"                          Hopper





Nos mains sont menées à la danse
Par l'aile et le chant des oiseaux
La table règle l'écriture
Le fin propos, la note juste
La table règle la moisson
Comme nos lèvres le plaisir
La marée monte comme l'arbre
Comme nos yeux qui se répandent
La voile fait un pas immense
Puis se gonfle pour tous les vents
Une voile s'en va, revient, gagne le large
Diminue à ma vue et grandit à l'escale
L'homme navigue et vole, il dénoue la distance
Il élude son poids, il échappe à le terre
Je peux vivre entre quatre murs
sans rien oublier du dehors
Chambre de l'ancien temps
Noyau d'un fruit géant
J'ouvre la porte qui en sort les fous, les sages
Tous plus beaux les uns que les autres
Chacun devançant le matin
                                                                        





Paul Eluard
"Ailleurs ici partout"
(extrait)


















Le pain et le vin   






" le jeune mendiant"                                                      B. E. Murillo






...et les fontaines chantent sans fin
au parfum des parterres fleuris.
Douces tintent dans l'air du soir
des cloches qu'on ébranle
et, mémoire des heures, 
crie un veilleur leur nombre.
Puis un souffle qui passe
émeut le faîte des arbres.
Vois! ce double d'ombre de notre terre, 
la lune arrive aussi, secrète,
en plein délire la nuit vient,
toute d'étoiles, 
indifférente à nos soucis.
Elle, la prestigieuse, 
l'étrangère parmi les hommes,
déployant sur les monts
tristesse et splendeur,
elle monte.

                                          







Hölderlin
   "Le pain et le vin" 
(extrait)























vendredi 10 avril 2015







les mots sont des jouets


  



papier découpé                                                                      Zack  Mclaughlin






Vois le saule 
aux longs cheveux d'argent
couchés sur la rivière,
et la pierre étendue 
à l'ombre de la branche
et l'alose paisible 
sous les reflets de l'eau
et l'orbe de cristal 
sous le touché d'une feuille.
Oh! Chante poète, 
chante!
Les mots sont des jouets 
et les mots sont des ailes.
                                   
                                   






  shg 
avril 2015














jeudi 9 avril 2015






L'homme mort    




Photographie                                                        Marie  Saorin


Lui, parmi les étoiles,
Dans la toile d'araignée des astres englué,
Oscillant comme au vent
A travers les ténèbres,
Lui, marqué au front par les étoiles,
Les étoiles, les étoiles lui consumant le cœur,
Lui, près de l'arbre blanc conçu,
Il s'en va.
Une once de soleil et de vent,
Deux doigts de rire,
Encore une parole
Et tu pourras partir.
Son visage est en sang.
Il s'en va.
Comme parmi les étoiles et les arbres.
Les étoiles le marquent au front.
Il s'en va
Au pays des étoiles et des arbres,
Des orages de l'âme.
                                    





 Srecko  Kosovel





















Le silence est trop profond  






" le chien"                                      Fransisco de Goya






Oh, mais il n'est pas de mort, pas de mort!
Seul le silence est trop profond,
Comme dans une verte forêt sans limite!
On s'éloigne seulement,
On se tait seulement
On est seul seulement, invisible et seul.
Oh, mais il n'est pas de mort, pas de mort!
On tombe seulement, on tombe seulement,
On tombe, on tombe
Dans le gouffre infini de l'azur.
                                                       






Sreko Kosovel




















mardi 7 avril 2015








La route, le vent et moi
(extrait)
      






"portrait d'enfant"                craie d'art                         Anne Dupin







La route mouillée glisse dans la campagne 
Et m'accompagne
Le vent furieux a claqué ma porte 
Et m'emporte
Il me bouscule dans le chemin 
Glace et rougit mes mains
Tourmente mes cheveux
Gifle mon visage et fouette mes yeux. 
La route mouillée m'emporte 
Et devant chaque porte
Nous passons tout trois
La route le vent et moi.
                                                   





   Anne Dupin
  janvier 1955 












lundi 6 avril 2015







Poussière de songes   






" la mal aimée"                          encre de Chine                           shg







            Celle qui est tendrement nouée par les choses de l'âme
           Celui qui est absent par miracle
       Tout est songe poussière de songes
      Les troupeaux qui ont mille ans à cause de la lune
        Et ces montagnes qui tremblent avec des noix
 
             Pavots vous ne serez pas la fleur vaine
            Elle a trop aimé les yeux ouverts
             La nuit l'accable de pierres
            Les yeux restent deux fleurs surnaturelles 
 
                                                                   






Georges Schehadé