mardi 30 juin 2015




Une route inaccoutumée






                                                                Rachel Ann Stevenson








Comme pour hâter la tombée du jour
ma dislocation au cœur lisse
J'exulte avec le rocher
dont la face obscure est celle-là
que le soleil a frappé la dernière
Tard venue mais du fond de la nuit
 de lèvres mal fermées qui s'obstinent
la lumière dévore, ou son absence de limites,
un espace franchi pauvrement,
Si je sombre, je sombre avec elle
le mot duel au bord des lèvres
donnant sa forme au silence
comme un flute inclinée

La même érudition stridente 
se détache de la paroi
et empierre une route inaccoutumée


                                                   





Jacques Dupin
" L'embrasure"
(extrait)















dimanche 28 juin 2015




Dans la maison des feuilles






"Arabie"                          dessin technique mixte                              shg







Je rêve en criant dans la maison des feuilles
c'est moi c'est moi disait la chanson
Oh qu'on la délivre
et que je m'en aille en emportant
le mannequin de perles
Les bois sont morts
et par la plaie les feuilles s'envolent.
                                                






 Georges Schehadé
"Les poésies"
(extrait)













vendredi 26 juin 2015




Chemin perdu





"Saint Jérôme"                                           Michel Ciry





Je me suis étendu sous les piliers de cendre
et tu t'es élevé sur des colonnes d'or
aux gouffres du malheur je ne peux plus descendre
le ciel est dépassé il surplombe la mort
je me suis évadé des lignes trop obscures
et je ne peux plus revenir
j'ai recouvert de sel les traits de ma figure
et je n'ai plus de place au monde que j'ai fui
cherche dans le soleil cherche dans les ténèbres
et cherche dans ton cœur un impossible écho
vers les traînées d'ennui de l'exil en toi-même
plus haut.
                                                                  


 Pierre Reverdy
 "Main d'œuvre"
(extrait) 


























jeudi 25 juin 2015








De vif argent






Vertumne et Pomone                                Jean Ranc      




Tout mon corps est de vif argent,
mon sang dans mes veines cascade,
mes idées en ma tête claquent 
comme drapeaux au vent,
mon cœur est battu d'oriflammes,
mes passions, mes amours,
ma foi et mes peines,
mes joies et mes haines,
mon appétit de connaissances
et ma tendresse immense
face à la découverte.
Le temps, l'heure et moi-même demeurant
abolis dans l'étourdissement de cette symphonie.
Ah! que vivre est bon!
 Malgré ses gifles, malgré ses coups.
Le soleil est si chaud,
la neige si blanche
et l'oiseau dans mon âme 
chante où fleurissent les saisons.
                                                 
                                            








Anne Dupin
 nov 1965































lundi 22 juin 2015







Jour blanc d'hiver






                                          René  Magritte







Une mouette dans le jour blanc de l'hiver
c'est un message de la mer
aile blanche, aile d'écume
sur le flot de nuit des corneilles
dans le tranchant bruns des labours.
                                                       
                                                             






Anne Dupin 


































dimanche 21 juin 2015




Gaspésie








"La petite fille en bleu"                Amadeo Modigliani






Y a au fond de la mer
des montagnes, des ravins
des villes, des cimetières
y a des épaves dans la mer
 dans le creux
parmi les joncs aux grands doigts
Y a des hommes dans la mer
 des femmes qui dorment
y a des enfants dans la mer
pour couvrir tout cela
y a des vagues sur la mer
buveuses de lune.
Y a des écumes aussi
des écorces de lettres déchirées
des fleurs à la dérive
y a des oiseaux au dessus de la mer
de grands oiseaux blancs
avec des yeux comme des gouttes d'eau
Y a des grèves autour de la mer
des coquillages et du sel
et des vieux marins qui ne voguent plus
qu'on a débarqués mais qui sont repartis
dans des voyages sans escale

y a le soleil sur la mer
et toi au bord
qui le regarde descendre dans l'eau.

                                                       





Felix  Leclerc
 Gaspésie
 (extrait)




















vendredi 19 juin 2015








Opéra de l'espace








Portrait du Dr Gachet                                  Vincent van Gogh







Qu'est devenu l'homme dans cet essaim
Que lui fournit le miel noir des étoiles
Les hommes vont dans leur habit de plomb
Parfois leur cœur se met à crépiter
Comme envahi d'un nuage d'atomes
Et c'est peut-être un rêve sous la cendre
Ou les premiers Saint-Elme de la mort.
                                                     
                                                   





Charles Dobzinski
 "Les Lettres Françaises"
(extrait) 



































mercredi 17 juin 2015





Parole nue






"La mal aimée"             dessin plume et encre de Chine            shg





Ouverte en peu de mots,
comme par un remous, dans quelque mur,
une embrasure, pas même une fenêtre
pour maintenir à bout de bras
cette contrée de nuit où le chemin se perd,
à bout de force une parole nue.

                                                              





 Jacques Dupin
"L'embrasure"
(extrait)































Esprit sauvage





peinture acrylique                                                                                   Hans Hartung





Tu portes sur ton flot, dans le chaos des airs,
Comme feuilles tombées, les nuages perdus
Qu'en leur rameaux noués agitent ciel et mer.
Lourds de pluie et d'éclairs, ils voguent dans le nue
Sur la surface bleue de ton céleste cours,
Comme d'ardents cheveux s'insurgent au front nu
D'une fauve bacchante et, depuis les bords sourds
De l'horizon jusqu'aux profondeurs du zénith,
Tressent les boucles de l'orage qui accourt.

                                                                        





 P. B.  Shelley
 "Ode au vent d'ouest"
(extrait)











mardi 16 juin 2015





Eaux d'automne








"La meilleure part"                                          Michel Ciry





Rien de vivant qui ne s'achève.
Notre amour nous met en danger
Quand il a la forme d'un rêve
Qui peut s'émouvoir et changer.
Un espoir, qui se perpétue
Par les regards et par les fleurs
Bientôt nous harcèle et nous tue
Avec sa terrible candeur.
Tout horizon qu'on abandonne
Nous garde encore et nous soumet.
Ce fleuve ne noiera personne
Qui berce moins qu'il ne promet.
Ce fleuve ne noierait personne
Si nous n'allions, les bras ouverts,
Nous jeter dans ses eaux d'automne
Qu'encombrent des nuages verts.
                                      
                                    






Anne-Marie de Backer
"Les étoiles de novembre"
 (extrait)






















lundi 15 juin 2015








Climat, faune et flore de la lune






                                       Filippino Lippi  1485






Des nuits, ô Lune d'Immaculée-Conception,
Moi, vermine des nébuleuses d'occasion,
J'aime, du frais des toits de notre Babylone,
Concevoir ton climat et ta flore et ta faune.

Ne sachant qu'inventer pour t'offrir mes ennuis,
Ô Radeau du Nihil aux quais seuls de nos nuits!

Ton atmosphère est fixe, et tu rêves, figée
En climats de silence, écho de l'hypogée
D'un ciel atone où nul nuage ne s'endort
Par des vents chuchotant tout au plus qu'on est mort?

Des montagnes de nacre et des golfes d'ivoire
Se renvoient leurs parois de mystiques ciboires,
En anses, où, sur mes mains pilotis, d'un air lent,
Des Sirènes font leurs nattes, lèchent leurs flancs,
Blêmes d'avoir gorgé de lunaires luxures
Là-bas, ces gais dauphins aux geysers de mercure.



                                                                            





Jules Laforgue
   "Climat, faune et flore de la Lune"
(extrait)
















samedi 13 juin 2015








Talita Cumi





 
"La nuit étoilée"                                                                        Vincent Van Gogh








Dans la lucidité de mes réveils du déclin de la nuit,
Quand, suivant en esprit le cosmos dans son vol muet,
Tout à coup je sens l'univers s'engouffrer en moi
comme aspiré par le vide de tous ces jours.
Je suis alors comme une chose en feu 
sur le fleuve dans la nuit d'été
Et la clef de soleil est sous ma main, 
qui ouvre les réels miroitants d'un brouillard de vie.
                                                                           






 O.V. de L. Milosz
                                                                             































Atlantique Circus






 
"Rapsodie en bleue"                                                                         shg













Par-delà les orages qui roulent sur la lande
j'ai déchiré mes lèvres à des sources de sable
Longtemps j'ai écouté la passion solitaire
des fleurs sous-marines
Longtemps j'ai poursuivi ces lignes improbables
Que les oiseaux du large tracent sur le ciel noir
Mais j'ai dû fuir ce pays de muqueuses envoyé par le fond
Pour me placer à terre dans un corps ambulant





                                                                                        


 Tristan Cabral 
"Le passeur de silence"
(extrait)













vendredi 12 juin 2015





Si tu rencontres un ramier






L'homme au chapeau melon        René Magritte




I
 Si tu rencontres un ramier
Dans un bois si jeune par la vie de sa neige
Quand les yeux veulent dire nœuds du soir
Fais un repos de tout ce qui est à lui
L'âge de la forêt mon amour est un songe


II

Dans le sommeil quelquefois
Des graines éveillent des ombres
Il vient des enfants avec leurs mondes
Légers comme des ossements de fleurs
Alors dans un pays lointain 
si proche par le chagrin de l'âme
Pour rejoindre le pavot des paupières innocentes
Les corps de la nuit deviennent la mer


                                                                     




  Georges Schehadé
    Les Poésies (extrait)