vendredi 31 juillet 2015






Deux marins au bord de l'eau




"Le rocher aux fenêtres"                                                    Yves Tanguy







Il rapportait en son cœur
un poisson des Mers de Chine.
Parfois on le voit passer 
minuscule dans ses yeux.
Il oublie la Marine
et les bars et les oranges.
Il regarde l'eau.

D'une langue de savon
il lava ses mots et se tut.
Monde uni, mer frisée,
cent étoiles, son navire.
Il a vu les balcons du Pape
et les seins dorés des Cubaines.
Il regarde l'eau.
                                      

                            





  Frederico Garcia Lorca












 

mercredi 29 juillet 2015





Présent sans fenêtre




 
"Et l'aube là-bas et au-delà de l'aube"              gravure sur zinc                shg






il n'y a rien en moi sauf une grande blessure,
un creux que personne ne parcourt plus,
présent sans fenêtre, pensée
qui revient, se répète, se reflète
et se perd dans sa propre transparence,
conscience transpercée par un œil
qui regarde son propre regard
jusqu'à s'abolir de clarté
                                                      
                                                  




Octavio Paz
"Pierre de soleil"
 (extrait)





















mardi 28 juillet 2015




Courir à la renverse







"Le double rêve du printemps"                                                         Chirico







Partir toujours partir
Courir à la renverse
Les départs dépistés sur les traits du matin
à la conquête des solitudes étrangères
que le rêve haletant connaît seul et traverse
comme un désert ardent un désert humide
où la chair et l'esprit se mêlent
dans un boue savoureuse
Ivresse de sang mêlé
de la détresse de mon cœur et de mon corps
au monde entier
                                                               


    Pierre Reverdy
         "Les buveurs d'horizons"
  (extrait)












lundi 27 juillet 2015


Grande mer






Prototype de machine pour rêver en couleur                                 dessin technique mixte                                       shg
 







Non, non! Debout! Dans l'ère successive!
Brisez mon corps, cette forme pensive!
Buvez mon sein, la naissance du vent!
Une fraîcheur, de la mer exhalée,
me rend mon âme...ô puissance salée!
Courons à l'onde en rejaillir vivant!
Oui! Grande mer de délires douée,
peau de panthère et chlamyde trouée
de mille et mille idoles du soleil,
hydre absolue ivre de ta chair bleue
qui te remords l'étincelante queue
dans un tumulte au silence pareil!
                                                                   







 Paul Valéry
 "Le cimetière marin"
(extrait) 

















dimanche 26 juillet 2015





Je voudrais pas crever




 
Chronique martienne                                                                 shg




Je voudrais pas crever
avant d'avoir connu
les chiens noirs du Mexique 
qui dorment sans rêver,
les singes à cul nu
dévoreur des Tropiques,
les araignées d'argent
aux nids truffés de bulles.
Je voudrais pas crever
sans savoir si la lune
sous son faux air de thune
a un côté pointu,
si le soleil est froid,
si les quatre saisons
ne sont vraiment que quatre.
                                             


 Boris Vian
              "je voudrais pas crever"
(extrait)













 

samedi 25 juillet 2015





L'oiseau






                                                                                                                     Julien de Casabianca









L'oiseau est la plus haute feuille de l'arbre
                                                                 








   Fawzi Yammine










vendredi 24 juillet 2015





Ennuis






Autoportrait                                     Raphaël








Il y a un trou dans mon ombre déchirée
par où j'entre dans ma nuit
les yeux ouverts à deux battants
sur le silence têtu d'un présent qui ne me dit rien.

il y a un trou dans ma mémoire abusée
par où filtrent les mensonges
des jours illuminés de leurs cruautés
sur le silence connu d'un passé qui ne veut qu'oublier.

 Il y a un trou dans mon corps
par où s'écoulent mes dernières volontés
pantelantes, épuisées
sur le vacarme d'un futur qui refuse de se regarder.

Dentelles d'ennuis sur les revers des temps.

                                                                                            





shg  
 juillet 2015



























jeudi 23 juillet 2015




Ô ma mémoire





"la ville de Paris"                                                                      Robert Delaunay





...
Mon beau navire, ô ma mémoire
Avons-nous assez navigué
Dans une onde mauvaise à boire
Avons-nous assez divagué
De la belle aube au triste soir...

...
Voie lactée, ô sœur lumineuse
Des blancs ruisseaux de Chanaan
Et des corps blancs des amoureuses
Nageurs morts suivrons-nous d'ahan
Ton cours vers d'autres nébuleuses...


                                                   


 Guillaume Apollinaire
  "La chanson du mal aimé"
 (extrait) 






















mardi 21 juillet 2015




Nuit sans rives
Là-bas






                                                          Elly Smallwood







Là-bas
le vigile des falaises
intercède pour l'immortalité
Là-bas
toujours plus loin
des enfants sans armes
s'apprêtent à l'immersion soyeuse du retour
Toute respiration est soustraite 
à l'espace courbe des origines
et tressaille sous l'anneau des coutumes nouvelles
                                                                              





 Jean-Jacques Beylac
"Le cœur biseauté"
(extrait)















lundi 20 juillet 2015






Des phosphores chanteurs






Portrait d' A. Rimbaud                                                             Ernest  Pignon









J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
baiser montant aux yeux des mers avec lenteur,
la circulation des sèves inouïes
et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs!
j'ai suivi des mois pleins, pareille aux vacheries 
hystériques, la houle à l'assaut des récifs,
sans songer que les pieds lumineux des Maries
puissent forcer le mufle aux océans poussifs!
                                                                       
                                                                          



Arthur Rimbaud
"Le bateau ivre"
(extrait)









  

dimanche 19 juillet 2015






Pierre de soleil




                                                  Nicolas de Staël




Il n'y a rien devant moi sauf un instant
racheté cette nuit contre un rêve
d'images accouplées dans le rêve,
durement sculpté dans le sommeil,
arraché au néant de cette nuit,
soulevé à la force du poignet lettre par lettre,
tandis que dehors le temps s'emballe
et qu'aux portes de mon âme frappe
le monde avec son horaire carnassier,

rien qu'un instant tandis que les villes,
les noms, les saveurs, le vécu
s'écroulent sur mon front aveugle,
tandis que le poids déchirant de la nuit
humilie ma pensée et mon squelette
et que mon sang chemine plus lentement
et que mes dents se déchaussent et que mes yeux
se voilent et que les jours et les années
accumulent leurs horreurs vides
                                                                     






 Octavio Paz
  "Pierre de soleil" 
(extrait)










samedi 18 juillet 2015




J'arrive




 
gravure sur cuivre                              Dominique Baroux





Dans mon manteau d’orages
Je marche seul sur des chemins de pluies
Je marche sur des chemins de poussières.
Ô silence ! Vacarme de bruits sans mémoire. 
La mer est innocente des sorts qu’elle engloutit.

Mes ailes sont plus grandes
Mes ailes sont plus lourdes
Je m’endors sur la hampe des vents
Arraché aux branches de mes rêves
dans l’écume cristalline des roches natives
dans la gangue engourdie des roches fossiles
sous des reflets de ciels sanglants
sous des éclats de ciels mourants,
j’arrive, m’en allant
Lentement...
                                                       





   shg
  18 juil 2015

























jeudi 16 juillet 2015






Le cortège de l'année





Sainte Catherine d'Alexandrie                     Raphaël








Changements qui sont des répétitions.
Le pas des heures et leurs poids.
L'aube plus que lumière, haleine
de clarté muée en gouttes enceintes
sur les vitres et sur les feuilles:
Le monde s'amincit
en d'oscillantes géométries
jusqu'à devenir le bord d'un reflet.
                                                      








Octavio Paz
  "Mise au net" 
(extrait) 















mercredi 15 juillet 2015






Marine









                                                                     Nicolas de Stael















Les chars d'argent et de cuivre
Les proues d'acier et d'argent
Battent l'écume,
Soulèvent les souches des ronces
Les courants de la lande,
Et les ornières immense du reflux
Filent circulairement vers l'est,
Vers les piliers de la forêt,
Vers les fûts de la jetée,
Dont l'angle est heurté 
par des tourbillons de lumière.


                                                                        


    Arthur  Rimbaud



























samedi 4 juillet 2015









Ma faim






Denimal                                   sculpture bronze







Ce que j'ai connu de plus beau sur la terre
Ah! Nathanaël! c'est ma faim
elle a toujours été fidèle
à tout ce qui toujours l'attendait.
Est-ce de vin que se grise le rossignol?
L'aigle de lait?
et non point de genièvre les grives?
L'aigle se grise de son vol
le rossignol se grise de nuits d'été
la plaine tremble de chaleur
Nathanaël, que toute émotion
sache te devenir une ivresse
si ce que tu manges ne te grise pas
c'est que tu n'avais pas assez faim.

                                       







André Gide
 "Les nourritures terrestres"
(extrait)